Interview de Domenico Albani, un des créateurs du jeu-vidéo White Night
    Interview de Domenico Albani, un des créateurs du jeu-vidéo White Night
    L'équipe de développement du jeu-vidéo White Night, primé d'un Trophée FLIP en 2015

    Pouvez-vous vous présenter brièvement et décrire votre parcours ?

    Domenico Albani : Je m’appelle Domenico Albani. Je suis le directeur technique de OSome Studio, que j’ai fondé avec Ronan Coiffec et Mathieu Fremont.

    Nous somme d’anciens collègues, nous avons chacun environ 10 ans d’expérience dans divers studios de jeu vidéo.

    Mon parcours personnel est relativement simple. Après une école d’ingénieur en informatique, j’ai travaillé 5 ans chez Etranges Libellules où j’ai rencontré Mathieu, puis 5 ans chez Eden Games où j’ai rencontré Ronan.

    Il y a deux ans, nous avons tous les trois quitté notre emploi pour fonder OSome et démarrer notre premier jeu en tant qu’indépendants : White Night.


    Êtes-vous un grand joueur de jeux vidéo? Quels sont vos jeux préférés ?

    D : Je l’ai été oui, mais surtout sur ordinateur. Depuis mon enfance sur AtariST, jusqu’à récemment sur PC.

    Les jeux qui m’ont le plus marqué sont (dans l’ordre) Half Life, Total Annihilation, Counter Strike, Quake3 et World of Warcraft. Mais il y a beaucoup d’autres jeux qui mériteraient d’être cités !

    Étiez-vous un joueur régulier avant votre création ?

    D : Chacun des jeux cités plus haut m’a absordé pendant plusieurs années ! Donc oui, on peut dire que j’ai été un joueur régulier  🙂

    Malheureusement créer une entreprise et développer un jeu indépendant sont deux activités extrêmement chronophages. Je n’ai donc quasiment pas joué de ces deux dernières années.

    D’ailleurs mon peu de temps libre est réservé à ma compagne, ma famille et les sorties.

    Une fois la poussière retombée, je me laisserai sûrement tenter par quelques titres, il y a tellement de belles choses qui sortent !

    Votre jeu « White Night » était au concours Trophée FLIP Jeux-vidéo en 2014, pouvez-vous nous en dire quelques mots ? Comment avez vécu cette expérience ?

    D : Nous avons présenté White Night l’année dernière. C’était une formidable expérience, sur plusieurs plans.

    En premier lieu, ce fut la premier rencontre de White Night avec le public, et cette rencontre a été très positive.

    Les joueurs ont globalement beaucoup aimé le jeu, mais c’était aussi pour nous l’occasion de noter les endroits trop difficiles, les problèmes de conception…

    Mais la rencontre avec le jury de professionnels était très instructive aussi, car chaque membre a joué attentivement au jeu, et a pu nous faire ses retours éclairés pour améliorer White Night. Certaines idées, comme les tableaux au comportement étrange, sont même apparues à ce moment.

    Enfin, ce fût aussi l’occasion de rencontrer d’autres créateurs indépendants, étudiants pour certains.

    Un an plus tard, certains liens sont restés, et je suis heureux de voir leur projet prendre la voie d’une distribution commerciale.

    C’est malheureusement loin d’être une généralité !

    Pourquoi avoir choisi le FLIP pour présenter votre création en concours ?

    D : L’intérêt que représentait le FLIP pour White Night est la nature toute particulière de son public.

    Ce sont bien évidemment des joueurs au sens large, mais concernant les jeux vidéocela va de l’expert gamer au néophyte.

    Comme White Night est clairement en lien avec le domaine du cinéma et de la littérature fantastique, et que ses contrôles sont très simples, c’est un jeu qui s’adresse aussi à ce public non averti.

    C’était l’occasion de récolter des retours très pertinents de la part de personnes n’ayant pas en eux les codes et les habitudes propres au jeu vidéo.

    Ce genre d’information est extrêmement précieuse pour nous, car les occasions sont rares.

    White  Night, un jeu de Osome Studio, récompensé d'un Trophée FLIP Jeux-Vidéo en 2015 à Parthenay

    De cette aventure au FLIP, est-ce que des éléments déclencheurs se sont fait jours pour entrevoir l’édition et la commercialisation de votre jeu ?

    D : Voir un large éventail de joueurs jouer à White Night et réagir positivement nous a fait prendre conscience qu’il était accessible à un large public.

    En tant que créateurs, nous avons changé notre propre vision sur ce jeu.

    Ce fût l’occasion de prendre un certain recul, et faire le point sur la cible que nous cherchions à atteindre.

    De plus, le fait de gagner le prix du public a été l’occasion de reprendre un bon bol de courage pour la suite !

    Comme je l’explique plus bas, ce recul et la meilleure connaissance de points forts et des défauts du jeu nous a aidé à trouver un éditeur.

    Mais de façon un peu inattendue !

    Le personnage principal du jeu-vidéo White Night en action sur le FLIP de Parthenay

    Comment vous est venue l’idée de votre jeu ? Combien de temps avez-vous mis à le concevoir et quelles étaient vos motivations ?

    D : L’idée du jeu provient de notre game director Ronan Coiffec.

    Alors qu’il travaillait chez Eden Games, il a été amené à réaliser un prototype de remake de Alone In The Dark, qui est le premier vrai survival horror de l’histoire du jeu vidéo, conçu par Frédérick Raynal.

    A cette même période, il a vu le court métrage Peur du Noir de Richard Mc Guire ( http://www.richard-mcguire.com/fears.html – faisant lui même partie de la collection de courts métrages intitulée Peur[s] du Noir).

    C’est alors qu’il s’est dit que les deux pourraient très bien concorder et produire une ambiance toute particulière.

    Même si malheureusement le prototype d’Eden Games n’a jamais débouché sur un projet final, nous avons décidé de faire notre propre jeu mais cette fois à la sauce Peur du Noir.

    Nous avons créé un prototype qui nous avait convaincu, puis le projet est resté en sommeil le temps que nous trouvions le bon moment pour créer OSome Studio.

    Cela a pris près de trois ans d’attente.

    Une fois l’entreprise fondée, la réalisation complète du jeu a pris un peu moins de deux ans.

    Deux années très bien remplies!

    Notre but était de faire un premier jeu d’envergure réduite, dont nous puissions maîtriser le budget, sans pour autant avoir une qualité au rabais.

    A notre sens, mieux vaut un jeu plus condensé, mais de meilleure qualité, avec un niveau de finition uniforme.

    C’est pourquoi pour certains sujets méticuleusement choisis, nous avons tenu à mettre les moyens à hauteur de nos ambitions :

    Nous utilisons notre propre moteur de jeu (OEngine) pour obtenir ce rendu si particulier.

    Nous avons fait appel à la technologie de motion capture de Quantic Dream (http://www.quanticdream.com/fr/) pour créer certaines animations du jeu, ce qui leur donne un naturel incomparable.

    Nous avons aussi fait appel un compositeur violoncelliste très pointu, Zachary Miskin (https://myspace.com/) pour obtenir une bande originale parfaitement adaptée.

    Cette bande originale est interprétée par une chanteuse de jazz norvégienne (https://soundcloud.com/fr-ydis-arntzen-dale)

    Je vous invite à visionner le clip vidéo réalisé pour l’occasion : https://youtu.be/SdWBnQAsgaQ

    Au final, le pari est tenu, dans le sens où tout en étant resté dans un budget restreint, le jeu final obtenu est de bonne facture et apprécié par beaucoup de joueurs.

    White Night, meilleur jeu-vidéo de l'été 2015 : Trophée FLIP à Parthenay

    Avez-vous fait tester votre jeu à votre famille, par des amis, une association, des spécialistes ?

    D : Oui nous avons fait tester le jeu progressivement.

    Le point épineux est qu’un jeu vidéo reste longtemps très éloigné de sa forme finale, tant qu’il n’est pas abouti.

    Quand on le teste au cours de sa réalisation, il faut pouvoir se projeter sur ce qu’il sera.

    Les choix de modifications doivent se faire alors que le jeu n’est pas terminé.

    C’est un exercice difficile qui est plutôt réservé aux gens du métier.

    Par exemple, il faut pouvoir tester et juger du jeu sans disposer d’aucune animation du personnage, ou bien sans aucun décors car ils seront produits plus tard.

    En prenant le gamepad en main, il faut imaginer tout ce qui manque, et faire les bons choix tôt en amont.

    C’est un peu comme les concepteurs qui prototypent leur jeu de société avec des bouts de cartons coloriés à la main et des allumettes. Les vrais pions en plastiques et les belles cartes illustrées ne viendront que pour la version finale.

    Cela nous a pris une année complète avant d’avoir un niveau de finition qui rende le projet testable par un public plus généraliste.

    C’est à ce moment que nous avons participé au concours Trophée FLIP Jeux-vidéo 2014 !

    C’est aussi vers cette période que j’ai fait essayer le jeu à ma famille.

    Vous êtes distribué sur PS4 et XBOX-ONE, pouvez-vous nous raconter cette aventure ?

    D : Initialement le projet était prévu pour PC uniquement. C’est le moins coûteux à développer.

    Nous comptions le commercialiser de façon indépendante, sans aide d’aucun éditeur, donc à budget très limité.
    Mais lorsque nous avons participé à la GDC de San Francisco, nous avons eu la grande chance d’être remarqués par Activision.

    Ils ont aimé le jeu et nous ont proposé de discuter d’un éventuel partenariat.

    Activision étant le premier éditeur mondial, c’est une opportunité unique pour un tout petit studio comme nous.

    Leurs questions se sont rapidement focalisées sur l’aspect qualitatif du jeu et non l’aspect commercial.

    Notamment ils voulaient savoir quel était notre avis sur les points forts du jeu et les points faibles que nous voudrions améliorer.

    Le fait d’avoir fait tester le jeu au FLIP à un large public nous a beaucoup aidé à être lucide sur nos défauts et donc à convaincre Activision de vouloir travailler avec nous.

    Une fois les décideurs d’Activision convaincus, ils ont choisi de donner toutes ses chances au jeu, et donc de le rendre accessible sur davantage de plateformes.

    C’est grâce à eux que nous avons pu nous lancer dans le portage sur PS4 et Xbox One.

    Là encore ce fût une opportunité inespérée pour notre tout petit studio !

    Est-ce que vous avez d’autres projets de jeux en cours ?

    D : Non, la sortie de White Night étant encore toute fraîche, nous en sommes encore à gérer les relations presse, traiter les retours divers des joueurs, mais aussi enfin prendre des vacances bien méritées.

    Bien sûr, nous avons plein d’envies et les idées de jeux ne manquent pas. Mais nous n’avons pas encore décidé de ce que nous ferons par la suite, c’est encore un peu tôt.

    Quels conseils pouvez-vous donner aux personnes qui souhaitent commercialiser des créations de jeux-vidéo ?

    D : L’aspect commercial est souvent laissé de côté ou sous-estimé par beaucoup de passionnés. Nous les premiers !

    On a tendance à se dire que si l’on met toute son énergie dans la création du jeu, il sera le meilleur possible et que par conséquence il se vendra.

    Ce n’est malheureusement pas le cas, sinon les écoles de commerce ne serviraient à rien !

    La communication est une tâche à part entière, qui consiste à réussir à atteindre son public et lui prouver que le jeu va lui plaire.

    De nos jour cela devient difficile pour les indépendants, dans la mesure où tous les secteurs sont occupés et certains même saturés (mobile).

    Les options possibles sont soit de s’en occuper soit-même sérieusement, mais cela demande énormément d’énergie et de sensibilité au travail de communication, soit de trouver un éditeur capable de prendre en charge cette partie.

    Dans le second cas, ce sont les talents de négociation qui seront grandement utiles !

    Dans tous les cas, avoir un jeu qui ait (au moins) un élément qui sort réellement du lot est primordial. On appelle cela une USP (Unique Selling Point).

    Dans notre cas il s’agissait du visuel noir et blanc si particulier.

    Avez-vous des conseils pour ceux qui créent leur jeu vidéo ?

    D : Concevoir un jeu, qu’il soit vidéo ou bien de société, n’est pas une mince affaire.

    C’est un travail créatif pour lequel il faut rechercher l’excellence (que l’on n’atteint rarement) et donc ne pas ménager ses efforts.

    La compétition est féroce, et le jugement du public l’est encore plus !

    Faire essayer son jeu par des inconnus, comprendre ses défauts, améliorer, réitérer… tout cela est essentiel.

    C’est même énormément plus constructif que de faire jouer ses amis, qui seront toujours complaisants.

    En un mot, embrassez les critiques, ne les refoulez pas !

    Un dernier mot ou remarque “libre” ?

    D : Je tiens à remercier toute l’équipe organisatrice derrière le FLIP, car cela a été une expérience très enrichissante, et surtout très humaine.

    Je remarque aussi que le jeu vidéo a réussi à trouver sa place dans ce type d’événement, ce qui lui valide une certaine légitimité en tant que “vrai” jeu parmi tous les autres types de jeux.

    Et cela qu’il s’apparente à des expériences intellectuelles, narratives ou simple défouloirs.

    En cela le FLIP peut se targuer d’une réelle ouverture d’esprit et d’une modernité dans sa vision du Jeu d’aujourd’hui.

    Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions

    Etienne Delorme – 30 mars 2015

    Plus d’informations sur White Night :