Le jeu au cœur de la crèche “Les Lucioles” – Chronique #JeuTravaille
    Le jeu au cœur de la crèche “Les Lucioles” – Chronique #JeuTravaille

    La Chronique #JeuTravaille s’attache à valoriser les pratiques du jeu dans le travail des différents acteurs du territoire Parthenay-Gâtine.

    Or “c’est en jouant qu’on apprend”, et ça commence avec nos tout petits à la crèche.

    En avant toute pour découvrir les pratiques de la Crèche des Lucioles de Parthenay !

    Bonjour l’équipe des lucioles ! Qui êtes-vous et que faites-vous ?

    Sonia Girard : Je suis diplômée éducatrice pour jeunes enfants depuis 2013. J’ai un parcours atypique dans le sens où j’ai effectué ma formation en apprentissage au sein des Lucioles. J’ai fait 3 ans de formation en parallèle à Angers et ici sur le terrain. Claire était ma maîtresse d’apprentissage à l’époque. Après le diplôme, je suis partie voir d’autres terrains, explorer d’autres univers, et puis je suis revenue depuis 3 ans et demi au sein des Lucioles et j’en suis ravie !

    Je suis revenue en tant que DEEJE (Diplôme d’État d’Éducateur de Jeunes Enfants) sur un poste axé sur le volet pédagogique, dans la continuité de la direction de Claire. Mes missions s’orientent sur l’accompagnement de l’enfant et sa famille dans sa généralité au quotidien, puis sur l’accompagnement de l’équipe concernant l’accompagnement de l’enfant dans sa journée en partant de ces besoins, son développement… Nous travaillons sur ces aspects avec l’équipe par le biais de projets pédagogiques : Comment souhaitons-nous travailler avec nos lucioles, avec l’équipe professionnelle, et quelles pratiques mettre en place, à partir de quels projets ?

    J’ai aussi une mission en lien avec tous les partenaires institutionnels, ça peut être la ludothèque, la médiathèque, tous les partenaires que nous pouvons avoir sur le territoire, et nous travaillons tous ensemble à destination des enfants et des parents.

    Claire Girard : Je suis aussi du métier de l’éducation pour jeunes enfants, et je suis présente aux Lucioles depuis 2010. J’en assure la direction depuis 2016. Les Lucioles est un centre de multi-accueil collectif pour les enfants de 0 à 4 ans, avec 3 sections d’accueil selon les âges. Une centaine de familles sont accueillies au sein de la structure pour une capacité d’accueil de 50 places.

    Nous sommes une équipe de 21 professionnels (auxiliaires de puériculture, agents petite enfance). Les Lucioles c’est aussi un gros travail d’équipe, de cohésion, pour répondre aux besoins des enfants et surtout, pour savoir comment y répondre. Ces questionnements perpétuels sont alimentés par le biais de formations, de lectures et de liens avec nos partenaires.

    Cléophée Peyronnet : Je suis aussi éducatrice pour jeunes enfants depuis 20 ans et je travaille aux Lucioles depuis la rentrée de septembre à mi-temps. Je suis aussi présente sur le Relais Enfance et Parentalité de la Communauté de communes de Parthenay-Gâtine. Plus particulièrement, je suis dans la section des explorateurs, et je reprends les missions que Sonia achève sur l’accompagnement des équipes, des enfants et de leurs parents.

    Tu travailles en complémentarité avec Sonia ?

    Cléophée : Oui c’est un travail en binôme. Sur les missions propres, nous sommes sur une intervention large, et nous faisons aussi un travail sur l’accompagnement de l’équipe des Lucioles au complet. C’est un travail d’analyse et de compréhension envers les enfants pour répondre aux questions : pourquoi faisons-nous cela ? À quel moment ? Qu’est-ce qui est plus pertinent pour un certain âge ? Nous retrouvons ces éléments notamment dans nos propositions pédagogiques. Nous sommes concentrées sur le quotidien de l’enfant, sur son appétence à vouloir découvrir des choses. La créativité fait partie de nos métiers.

    Sonia : L’arrivée de Cléophée nous a permis d’avoir un autre regard en complément de notre formation initiale, une autre richesse et une autre dynamique auprès de l’équipe.

    Effectivement en tant qu’éducatrices jeunes enfants, vous étiez deux dans l’équipe. Donc forcément, en termes de contenu et d’échange une personne en plus apporte beaucoup ?

    Claire : Nous sommes sur la première année, donc nous construisons ensemble depuis septembre. Tout s’est mis en place très vite, très peu de temps avant la rentrée, et nous sentons bien qu’aujourd’hui, c’est top !

    Nous avions besoin de ça aux Lucioles, d’autant plus concernant la situation sanitaire. Comment répondre continuellement aux différents besoins dans ce contexte Covid, avec le lavage des jouets toutes les 48h au grand maximum ? Nous avons eu une réunion récemment, justement, pour savoir quels jeux utiliser. Mais également, comment penser l’aménagement ? Comment le réinventer ?

    Sonia : Nous devons répondre aux besoins des enfants avec le matériel que nous pouvons apporter, tout en sachant que cela est un peu différent de ce que l’on pouvait faire il y a encore 2 ans. Avant, nous pouvions amener des jeux en continu, maintenant ils doivent être nettoyés et mis de côté un certain temps.

    C’est le côté négatif du moment, mais maintenant nous avons la chance d’avoir quelqu’un en interne pour nettoyer les jouets au quotidien. Avant les professionnels faisaient ça en plus de leur présence avec les enfants.

    Et nous nous sommes aussi aperçues que nous faisions un gros tri dans nos jouets, que finalement, certaines choses n’étaient pas nécessaires. Nous travaillons avec Cléophée en ce moment sur une nouvelle commande, une nouvelle vision. Pour chaque jeu, nous nous demandons : pourquoi ce jeu ? Quelle utilisation en faire ? Qu’est-ce-que ça peut apporter à l’enfant ?

    Cléophée : En réunion, nous nous demandions pourquoi devons-nous sortir des poupées ? Pourquoi devons-nous sortir des ballons ? Pourquoi sortir des jeux d’assemblage ? Ça nous demande une classification presque de ludothécaire dont on connaît vraiment l’apport pour le groupe d’enfants du jour.

    Claire : C’est un peu le point positif du Covid : ça nous remet en question, ça nous fait travailler sur des aspects que nous n’avions peut-être pas assez creusé en profondeur avant. C’est aussi notre rôle, de toujours réfléchir. Car nous avons un budget à l’année, et il faut que nous soyons judicieuses dans nos choix de jeux. Il y a de magnifiques catalogues, mais notre but est de cibler ce qui doit être ciblé.

    Plus que dans l’utilisation des jeux, vous vous questionnez aussi sur la pratique. C’est très intéressant parce que ça fait écho à un nombre de questions que les organisateurs du FLIP se posent actuellement sur les jeux/jouets d’une éventuelle édition en juillet 2021, les pratiques, le turn-over, la désinfection, etc.

    Claire : Exactement, nous avons aussi une petite précision à faire. Les Lucioles s’orientent depuis quelques années vers un écolabel. Donc il y a aussi cette notion de jeux jouets, qui perdurent, qui mêlent qualité et préservation de l’environnement.

    C’est un écolabel déjà existant, qui est reconnu nationalement par les professionnels des crèches ?

    Claire : L’écolabel ça concerne plein de domaines, que ce soit de l’entretien des locaux, au matériel utilisé dans la cuisine, etc. Dans cet écolabel-là il y a aussi une notion de réflexion autour du choix des jeux : lequel jouer tout en préservant l’environnement ? C’est un de nos objectifs qui a été présenté aux élus.

    Est-ce que vous évoluez dans plusieurs structures ? Et y a-t-il beaucoup d’autres crèches sur le territoire ?

    Claire : Les Lucioles est la seule structure communautaire, mais nous sommes cinq structures en tout, et quatre structures associatives. À Parthenay : Le relais des petits, Secondigny : Galipette, Thénezay : L’ile aux enfants, et Les Mini-gouttes à Ménigoute. Il y a un travail transversal entre les différentes structures qui est établi par le biais du service enfance jeunesse.

    Cléophée : Certaines d’entre nous évoluent dans plusieurs structures comme le relais enfance, sur l’accompagnement des parents à la recherche d’un mode d’accueil pour leurs enfants et de l’accompagnement professionnel des assistants maternels.

    Est-ce que votre métier a évolué ? En quoi consiste votre travail quotidien ?

    Sonia : Je dirais qu’il n’y a aucune journée qui se ressemble. Mon travail c’est d’accueillir l’enfant et sa famille dans le quotidien et de prendre en charge l’accompagnement des enfants en l’absence des parents, et de pouvoir m’adapter à ce qu’ils me montrent dans leur journée, les besoins qu’ils expriment. Il n’y a pas de journée type, c’est en fonction de ce que les enfants vont nous montrer quotidiennement.

    Nous nous adaptons et partons de ce qu’ils nous demandent et de ce qu’ils expriment. Nous avons bien sûr des journées rythmées en fonction des repas, des temps de siestes. Mais si nous restons dans le cadre du jeu, nous allons pouvoir proposer un atelier de manipulation, le lendemain ça peut être tout autre chose comme explorer l’extérieur… C’est difficile de décrire un peu une journée type parce qu’elles ne se ressemblent pas du tout les unes des autres. C’est créer avec l’enfant.

    Cléophée : Je fais ça depuis 20 ans, et en fait ce qui a changé, c’est la prise en compte de l’individu dans un collectif. J’ai abordé mon métier dans un collectif. Avant nous intervenions en crèche autour d’un groupe. Mais mon métier a évolué complètement différemment, en prenant en compte l’enfant dans son individualité pour l’emmener vers le groupe ; ce qui est beaucoup plus difficile qu’avant. Nous offrons un panel de propositions, qui évoluent dans l’année en fonction des enfants. Ce sont aussi de nouvelles connaissances sur les neurosciences autour du développement de l’enfant qui font que nous abordons les enfants un petit peu différemment dans leur façon de voir les choses, plus à hauteur d’adulte. Il y a des choses auxquelles ils n’ont pas accès, par exemple une consigne. Aujourd’hui ça paraît complètement fou d’en donner comme on le faisait avant, parce que nous savons qu’intellectuellement l’enfant n’en est pas là. Nous réajustons en conséquence les propositions d’éveil.

    Sonia : La parole adressée à l’enfant a énormément évolué. On parle de communication bienveillante, de reconnaissance des émotions. Forcément nous le ressentons au quotidien, l’accompagnement et la prise en charge de l’enfant est différente. Si je regarde le travail fait entre mon arrivée aux Lucioles et aujourd’hui, je trouve qu’il y a eu un très beau travail de fait.

    Claire : En tant que professionnelle depuis 1993, je trouve aussi qu’il y a un très grand changement. En 2010 quand je suis arrivée aux Lucioles, il y avait des professionnelles avec 30, 40 ans de carrière ayant toujours été dans ce domaine de la petite enfance.

    Avec l’évolution fulgurante de ces dernières années, il a fallu que les professionnelles s’adaptent. Il y a eu ce croisé d’anciennes professionnelles, qui petit à petit partaient à la retraite, et qui se faisaient donc remplacer par des plus jeunes. Cette rencontre intergénérationnelle a donné un vrai essor aux Lucioles, grâce au grand partage qu’il a généré. Pour moi la vraie évolution des Lucioles est aussi reliée à la création du service enfance jeunesse et toute la place que la petite enfance a pu prendre sur le territoire Parthenay Gâtine en peu de temps. Les Lucioles c’est aussi une histoire avec une vingtaine de directions en 40 ans, ce qui est énorme.

    Est-ce que c’est la crèche la plus ancienne sur le territoire deux-sévrien ?

    Claire : Ce n’est pas la plus ancienne mais une des plus anciennes. Elle a ouvert le 1er octobre 1977. Et la vision de la petite enfance était bien différente, beaucoup plus hospitalière (au sens hôpital du terme). Les enfants étaient déshabillés et habillés avec des tenues de crèche, les professionnelles travaillaient avec des blouses… Et quand je parle des professionnelles qui étaient là pendant 40 ans, elles ont vécu ça, ce système de garderie.

    Et votre sentiment actuellement, c’est que c’est aussi le cas de la plupart des professionnels de ce secteur à l’échelle nationale ? Vous avez le sentiment que tout le monde est en train de se mettre dans ce mouvement-là de remise en question et d’approche différenciée, ou est-ce que c’est propre à chaque structure ?

    Claire : Oui totalement. Aujourd’hui la CAF nationale, en lien avec tout le travail autour des 1000 jours de l’enfant , a en effet identifié sur chaque territoire des évolutions individuelles, diverses et variées. Et nous observons une évolution très forte ces dernières années. Mais c’est aussi beaucoup d’accompagnement à la parentalité. Aujourd’hui notre métier c’est aussi d’accueillir l’enfant avec sa famille, dans leur individualité, et dans le respect de leurs valeurs.

    Sonia : La création des ateliers parents/enfants par exemple est une nouveauté. Avant, on se contentait d’accueillir l’enfant, aujourd’hui le parent a toute sa place au sein des lieux d’accueil, par le biais d’actions que la CAF appelle le soutien à la parentalité. On nous invite vraiment à aller dans cette direction, et c’est national.

    Pensez-vous que la relation au jeu est importante dans le développement des enfants ?

    Sonia : Le jeu est indispensable. J’ai une phrase de Jean Epstein qui dit : « l’enfant ne joue pas pour apprendre il apprend parce qu’il joue ».

    C’est ce qui permet à l’enfant de construire son identité, sa personnalité, enfin, tout ce qui tourne autour du développement intellectuel, cognitif. Même dans la découverte de la relation à l’autre, l’enfant passe par le jeu pour exprimer ses émotions, tout est lié au jeu dans la petite enfance. La découverte du monde passe par là.

    Cléophée : On y associe la découverte car par l’intermédiaire du jeu, on permet de comprendre le monde extérieur.

    Dans les activités de la crèche, est-ce que le jeu est au centre de tout ?

    Cléophée : Le jeu est au centre de tout. Nous pouvons parler du jeu « jouet », mais aussi du jeu « jouer ensemble », en interaction. Pour sortir, c’est aussi le jeu « découverte », « expérience », « sensoriel ». C’est ça tout l’art des métiers de la petite enfance : s’adapter, rebondir sans cesse au rythme de développement des enfants.

    Est-ce qu’il y a des jeux qui fonctionnent mieux en général avec les enfants ?

    Sonia : C’est suivant les tranches d’âge des enfants, et de là où ils en sont dans leur développement. Ils vont se diriger vers un jeu d’imitation quand ils commencent à imiter les scènes du quotidien. Les bébés sont plus sur la sensorialité, tout passe par la bouche.

    Cléophée : Après, un jeu peut être détourné. Avec les boîtes nous sommes beaucoup sur le remplissage, mais dans la tête de l’enfant une boîte est aussi faite pour être vidée.

    C’est le cerveau qui fonctionne comme ça. Et puis éventuellement, un autre enfant un peu plus loin va commencer à empiler des cubes. Ce n’est pas l’adulte qui donne la consigne (en tout cas pour la petite enfance), c’est l’enfant qui va s’approprier et détourner les objets.

    Sonia : Une table, une chaise, peut devenir un train pour partir en voyage. Il y a les objets du quotidien qui peuvent être détournés. Et puis il y a des jeux jouets que nous proposons car ils ont une utilisation donnée, mais qui vont aussi être utilisés différemment par les enfants. Par exemple un fer à repasser peut finir dans le four et ce n’est pas grave, quand bien même on attendrait un autre usage en tant qu’adulte.

    Claire : Bien entendu il y a des catégories de jeux, mais après ce sont les enfants qui inventent. Et le plus important c’est la manipulation pour apprendre à connaître l’objet. Cela contribue à leur apporter une sécurité affective, physique, l’acquisition de l’autonomie. Tout passe par le jeu, et par l’accompagnement de l’adulte.

    Cléophée : On entend souvent cette expression du « jeu libre », je réponds que le jeu est forcément libre, on ne peut pas forcer un enfant à jouer. Contrairement à avant, aujourd’hui l’enfant dispose d’une panoplie de jeux. Et c’est aussi en répétant que l’on apprend.

    Sonia : Il y a toujours de gros stéréotypes sur lesquels travailler, comme dans les magazines lorsque l’on voit des pages roses et bleues : le fer à repasser pour les filles et le bricolage pour les garçons. Il y a un peu de mieux, mais nous devons toujours faire attention à la crèche. Pour certains parents, c’est encore difficile de voir leur petit garçon revenir avec une robe de princesse le soir par exemple. Pour nous, c’est à disposition et l’enfant en fait ce qu’il en veut.

    Pratiquez-vous plutôt l’itinérance ludique ou le jeu libre ? Comment mettez-vous cela en place ?

    Cléophée : Je ne suis pas sûre que nous soyons encore dans l’itinérance ludique, je pense que nous sommes toujours dans le jeu libre. Mais effectivement c’est à travailler sur le long terme en équipe, et forcément nous aimerions tendre vers l’itinérance ludique.

    Et ce cadre de jeu libre vient avec un aménagement des espaces ?

    Claire : C’est plutôt pensé, réfléchi. C’est à nous aussi de savoir adapter, en fonction de ce que les enfants nous montrent.

    Nous avançons parce que nous croisons nos regards. C’est tout l’intérêt du travail d’équipe. La grande richesse, c’est notre complémentarité, chacun à la parole, chacun peut apporter et il n’y a pas d’idée bête.

    Cléophée : Nous partons d’abord de l’observation des équipes pour pouvoir adapter les aménagements des espaces et la proposition de jouets.

    Sonia : L’enfant nous le montre quand cela ne fonctionne pas. Il va être ailleurs ou il va y avoir une insécurité. Il y a quelque temps, nous avions mis des éléments de cuisine dans une des sections, et les enfants n’arrêtaient pas de les déplacer. Nous nous sommes rendu compte qu’ils agissaient ainsi parce que le module en soi était vide, sans objets. Pour eux c’étaient juste des gros blocs à pousser sans autre utilité. Nous avons dû le repenser et maintenant ça fonctionne mieux. Il faut changer de propositions pour susciter un intérêt.

    Ce sont toujours les enfants qui décident de ce à quoi ils veulent jouer ?

    Cléophée : Nous ce que l’on veut c’est que l’enfant prenne des initiatives. Pour cela il faut construire un environnement qui est en adéquation avec ce dont il a besoin à ce moment-là. L’enfant a aussi besoin de régularité pour s’y sentir bien.

    Au départ, il faut quand même un jeu, un espace moteur. Puis nous lui laissons un certain temps pour qu’il l’expérimente. Après nous pouvons changer de propositions pour re-susciter un intérêt et une autre découverte.

    Le Covid nous a un petit peu embêté avec ça parce qu’il faut quand même toujours une répétition. Nous avons toujours besoin d’espaces moteurs, d’un espace d’imitation avec des modules par exemple, même si on n’y trouve pas les mêmes assiettes, les mêmes contenants.

    La présence de l’adulte est-elle vraiment requise pour accompagner les enfants dans le jeu ? Et pensez-vous que les accompagnateurs arrivent à trouver leur place dans le jeu ?

    Cléophée : Ah oui… Tu as trois heures devant toi ? [rires]

    Oui l’adulte est essentiel, parce que l’enfant est là sans ses parents ; donc il a besoin de sécurité. Nous faisons un peu partie des meubles et notre présence, notre place physique, est très importante. Si un espace n’est pas utilisé, c’est parfois parce qu’il n’y a pas d’adultes pour l’occuper.

    Claire : Nous avons une place de “phare” dans l’espace de vie de l’enfant. Il faut pouvoir éclairer un espace pour que l’enfant se sente en sécurité pour pouvoir jouer. Il faut que nous soyons bien fixe pour qu’ils puissent jouer. On le voit avec les tout petits, en faisant simplement trois pas de côté, tous les enfants se déplacent instinctivement en suivant l’adulte. Du coup si on se déplace trop loin des éléments de jeux, les enfants peuvent ne pas se rendre jusqu’aux jeux.

    Cléophée : Anne-Marie Fontaine a fait un beau travail sur ce sujet, en étudiant les mouvements des enfants dans la pièce qui dépendent beaucoup des mouvements de l’adulte. Pourquoi les enfants poussent les modules vides, c’est aussi pour les rapprocher du champ de vision de l’adulte.

    Dans notre place d’adulte, il y a donc l’accompagnement physique sur certains jeux, quand nous pouvons intervenir, et puis d’autres où nous sommes là uniquement en observation. Nous attendons que l’enfant vienne à nous et nous mettons des mots sur ce qu’il se passe. Mais moi j’aime bien cette idée, où je reste là, et je réponds aux enfants qui en ont besoin.

    L’enfant ne voit pas forcément les mêmes choses que l’adulte dans le jeu. Par exemple si vous lui demandez autour d’une dinette de vous faire un café, il ne vous comprendra peut-être pas et voulait peut-être simplement vous donner une tasse sans se soucier de ce qu’un adulte semble appeler « un café ». De la même façon si nous proposons un puzzle, l’adulte aura peut-être tendance à préciser où vont les éléments, « le chat va ici et pas là ». Sauf que l’enfant il a peut-être juste envie de faire une tour avec les pièces du puzzle… La place de l’adulte est donc vraiment à réfléchir.

    Claire : C’est vrai que pour chaque adulte c’est un gros travail personnel, c’est très ancré avec sa propre personnalité, son histoire. Tous nos métiers de la petite enfance sont en lien avec tout le côté communication bienveillante, non violente pour accompagner tout le quotidien de l’enfant.

    Vous êtes dans le « faire jouer et apprendre » et non « en train de jouer » ?

    Claire : C’est ça.

    Donc vous devez accepter régulièrement que l’enfant ne va pas faire ce que vous aviez prévu, mais que sa pratique du jeu répond toute de même à votre cahier des charges professionnel. Si on prend ce recul, il y a une part d’acceptation qui ne doit pas toujours être simple en fonction des enfants, non ?

    Claire : Il y a certains enfants, quand la verbalisation est bien en place, qui nous remettent bien à notre place lorsque nous essayons justement de créer un contexte de jeu différent de ce qu’ils vivent. L’enfant va nous dire « bah non, c’est ça, tu fais n’importe quoi toi ». Il faut savoir l’accepter, laisser l’enfant se construire.

    Sonia : C’est aussi toute la richesse d’être dans une équipe, en fonction de notre personnalité, de notre histoire… Parfois les enfants vont être en demande de jouer à quelque chose de précis, comme gratter la terre à l’extérieur, et pour certaines professionnelles ça peut être compliqué. D’où l’intérêt d’être nombreuses pour assurer une passation à d’autres que ça ne gêne pas du tout.

    Claire : Oui, on se fait relais les unes les autres. Nous parlons au féminin, désolé, mais c’est la réalité de notre métier.

    Avez-vous des périodes phares dans l’année, comme noël, durant lesquelles émergent des activités ludiques ?

    Sonia : Il y a les semaines à thèmes, nous en avons quatre : la semaine du goût, la semaine de Noël, la semaine petite enfance (qui est nationale) et la semaine musicale.

    Sur ces semaines-là, nous allons trouver d’autres supports créatifs, comme à Noël avec un petit théâtre d’ombres qui a été créé par les professionnels. Nous prenons peut-être plus de temps pour construire, penser avec d’autres supports. Nous essayons d’intégrer les familles au maximum aussi. Tous les jours une nouvelle proposition est faite aux enfants.

    Est-ce que le jeu est un exutoire pour que les enfants ne soient pas trop anxieux face à cette époque particulière ?

    Claire : Tout se joue dans l’environnement de l’enfant, autour de sa sécurité physique, affective. Le « faire » et le « refaire » du jeu amènent une sécurité à l’enfant.

    Cléophée : Malgré les contraintes avec le covid, nous sommes toujours dans cette idée qu’il faut proposer des jeux et s’adapter pour qu’il y ait une panoplie de jeux pour eux. C’est leur première activité. Ça doit être leur vie d’enfant, d’être dans le jeu, donc il ne faut pas que nous ça nous arrête. Il faut préserver leur envie.

    Ce que je comprends c’est que le jeu n’est pas un exutoire, une catharsis, mais c’est qu’il est sécurisant pour l’enfant ?

    Cléophée : Exactement.

    Et toutefois, toute l’année et même hors contexte covid, c’est aussi un exutoire tout de même, parce qu’il se déroule beaucoup de choses dans le jeu de l’enfant. Quand un enfant est face à un jouet crocodile, qui va le croquer, il se passe des choses ! Les plus grands font semblant de faire des choses, qu’ils vivent, qu’ils voient à la maison.

    Sonia : Le port du masque est quand même un gros changement. Les enfants passent par le jeu pour aborder cette question, avec le coucou caché par exemple… Globalement, je pense tout de même qu’avec les bébés, qui fonctionnent beaucoup avec les jeux de bouche, il va y avoir un impact.

    Est-ce que depuis l’arrivée des masques transparents, vous ressentez une amélioration ?

    Claire : Les enfants ont été très réceptifs et étonnés de revoir nos bouches. Aujourd’hui je pense que nous n’avons pas encore assez de recul. Les professionnels commencent tout juste à répertorier les changements qu’ils observent à cause du port du masque. Par exemple, les enfants ne savent pas si nous nous adressons à eux. Et sans voir la bouche de l’adulte en train de bouger, ils cherchent qui est en train de s’adresser à eux. Les expressions sont tellement importantes tant pour l’oralité que pour afficher les émotions, que l’arrivée des masques transparents est forcément positif dans notre rapport quotidien aux enfants.

    Les parents sont-ils contents des activités proposées aux Lucioles ? Ou sont-ils en demande de conseils ?

    Sonia : Il y a parfois des parents qui nous demandent : « vous pensez que je peux lui proposer ça à la maison ? ». Ça arrive suivant les échanges que nous pouvons avoir que certains parents soient demandeurs de ce que nous proposons en fonction de l’âge, et d’où ils en sont dans leur développement. Les semaines à thèmes, provoquent toujours des réactions et des retours, donnent des idées aux parents auxquelles ils n’auraient pas pensé.

    Nous en parlons aussi par le biais de notre page Facebook et dans le journal interne de la crèche. Et là aussi nous avons des retours de parents qui apprécient de découvrir les activités. Mais je pense que ça serait intéressant de les interroger encore plus précisément. Est-ce que pour eux tout est associé au jeu ? Car sur ce sujet nous ne connaissons pas leurs points de vue. De même, nous sommes toujours très demandeuses de connaître les évolutions des enfants à la maison.

    Cléophée : Dans l’ensemble les parents demandent plus souvent comment s’est déroulé globalement la journée de leur enfant, et ce qu’il a pratiqué ; et très rarement des conseils d’activités de jeux à poursuivre à la maison. Ce qui est totalement logique. Après est-ce que tout est associé au jeu pour les parents ? Je ne sais pas et j’avoue que ça nous intéresse.

    Sonia : Le rapport au jeu change en fonction des familles. Pendant le premier confinement, nous avions créé un support pour donner des idées (DOCUMENT : Outils pédagogiques pour l’éveil des jeunes enfants – Accompagnement des familles), puisque certaines familles étaient en demande d’activités à faire à la maison. Certains parents ont totalement changé de regard vis-à-vis de la place du jeu au sein de la famille, et nous disent que leurs salons sont devenus des salles de jeu ; chose qui était impensable avant.

    Claire : La place du jeu est très culturelle, elle change en fonction de l’éducation. Et tout le monde n’a pas forcément le temps disponible pour s’informer et mettre en place des pratiques de jeux dans leurs foyers.

    Toutefois pour moi, le fait d’avoir le FLIP sur notre territoire, fait que les parents d’ici sont sensibles à la thématique du jeu. C’est un moment merveilleux que les familles attendent avec impatience. Les gens se rendent sur le festival et surtout ils prennent le temps de jouer avec les enfants. Ce sont clairement de beaux moments en famille qui nous font extrêmement plaisir en tant que professionnelles.

    Et c’est souvent durant la période du FLIP que les familles nous questionnent le plus. Nous les renseignons sur les créneaux d’animations liés à la petite enfance, notamment les matinées dédiées aux familles par exemple. Les assistantes maternelles du territoire les utilisent énormément et nous aussi en tant que structure. Cette période nous donne une occasion d’échanger de façon encore plus importante.

    Sonia : Et le FLIP sert également dans le soutien à la parentalité parce que nous proposons aux familles de nous accompagner sur l’événement. Certains parents découvrent alors avec bonheur toute la diversité d’espaces qui sont dédiés aux tout petits. Ils découvrent de nouveaux jeux/jouets, de nouvelles pratiques avec leurs enfants.

    Que pensez-vous des jeux comme Toutou-Rista, ou en général de ces contenus que certains professionnels considèrent comme trop terre-à-terre et inintéressants ?

    Cléophée : Si un jeu n’est pas bien, l’enfant ne joue pas avec mais en disant ça, je me trompe certainement. Finalement, on peut mettre quelque chose dans les mains d’un enfant sans que ce soit bien pour lui ; il en fera forcément un usage.

    Sonia : Je ne connais pas ce jeu-là … Mais bien-sûr il y a certains jeux qui ne montrent pas de visée pédagogique, de fait, je n’en vois pas trop l’intérêt. Il y a d’autres supports pour parler de ces sujets, de très bons livres par exemple. Il faut de la créativité pour que l’enfant ne reste pas passif devant un jeu. Je trouverai ça plus intéressant d’aller voir des selles de chien, d’oiseau, de lapin… que de mettre un jeu comme celui-ci dans les mains d’un enfant.

    Lorsque nous jouons à un jeu, sommes-nous forcément dans la recherche d’une finalité, de développement ou d’apprentissage particulier, ou jouons-nous parfois seulement pour jouer ?

    Cléophée : Bien sûr nous avons certains objectifs en tant que professionnelles, mais le plaisir de jouer c’est la base et elle nous paraît essentielle.

    Merci à toutes, Claire, Sonia, Cléophée.

    Etienne Delorme – Chronique #JEUtravaille – 03/02/2021